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A notre regretté internet

Le 01/03/2009 par Christian Caleca aka Prof

Non, décidément, je n'aime pas la façon dont certaines personnes voudraient faire évoluer notre bel internet.

Les principes fondateurs

L'internet a été créé pour n'être qu'une tuyauterie destinée à transmettre de l'information, au même titre que la poste a été créée pour n'être qu'un moyen d'acheminer des objets d'un expéditeur à un destinataire, sans se préoccuper de l'intérieur de l'objet.

Toute la richesse de l'internet vient du fait qu'il est possible à quiconque de placer en périphérie de ce réseau une information quelconque, qui sera accessible à quiconque a la possibilité de se connecter à ce réseau, au besoin en définissant un nouveau protocole d'échange, du moment que celui-ci s'appuie sur IP. Les grands protocoles que nous manipulons tous les jours ont été créés pour permettre d'échanger cette information en utilisant l'internet comme voie de transport, c'est ainsi que HTTP, FTP, SMTP et tous les autres ont été créés.

Pendant longtemps, de part les faibles débits alloués aux internautes, les sources d'informations (serveurs) ont du être placés en des endroits privilégiés, les « datacenters » de nos fournisseurs de services. C'est toujours possible aujourd'hui où, pour une somme acceptable, il est possible de louer un espace d'hébergement et de créer son propre domaine.

Avec l'arrivée de débits plus conséquents que procure la fibre optique, tout internaute pourra désormais (techniquement tout du moins) héberger chez lui son propre serveur d'information, pourvu qu'il n'atteigne pas une audience nécessitant trop de débit, allant ainsi dans le sens voulu par les fondateurs de l'internet. Mme Michu (C'est une dame qui utilise l'internet sans bien savoir comment il fonctionne, mais nous ferons plus ample connaissance par la suite), pourrait si elle avait le savoir nécessaire, héberger son blog chez elle.

Les dévoiements

Comme il n'y a aucun contrôle sur les données transportées sur l'internet, nous allons naturellement y retrouver tout ce qui existe déjà par ailleurs dans le vaste monde (rien de plus et rien de moins), que ce soit en bien ou en mal, simplement avec plus de facilité pour l'échange. Les terroristes, les pédophiles, les malfaiteurs de toute sorte exploitent l'internet, certes, mais existaient déjà bien avant lui et continueront sans doute hélas d'exister, même si l'internet venait à disparaitre.

Ce n'est pas l'internet qui est générateur de dévoiements, c'est l'homme. Nous serons tous d'accord là dessus, je pense.

La solution dans le filtrage

Voilà ce que nous proposent nos élus. Puisque l'internet est un nid de malfaiteurs, il faut prendre les choses en main et instaurer des « autorités » qui vont effectuer une surveillance et un filtrage de tout ce que le Mal peut infiltrer dans notre petite « box ».

Les « hots spots » sont un moyen privilégié pour les malfaiteurs d'opérer de façon anonyme sur l'internet ? Il suffit d'instaurer des « listes blanches » de sites qui ne posent pas de problèmes et d'interdire l'accès à tous les autres. Cette façon de faire rappellera sans doute de bien mauvais souvenirs aux plus anciens d'entre nous, puisqu'il est bel et bien question ici d'une censure pratiquée par l'Etat. Comment ferons nous dans ces conditions pour publier notre blog à domicile ? Il faudra demander à l'Etat de bien vouloir nous mettre dans la liste blanche ? Croyez-vous vraiment que ce moyen totalitaire arrivera tout de même à endiguer quoi que ce soit ? Les gens qui connaissent bien les protocoles de l'internet savent qu'il est parfaitement possible de les détourner de leur fonction première et de les adapter à d'autres usages (DNS par exemple).

Quant à la faisabilité… La société Netcraft recense en février 2009 pas moins de 215 675 903 sites web. A moins que le monde ne soit encore plus pourri que ce que nous pouvons l'imaginer, seule une infime minorité de ces sites seraient à bannir. Autrement dit, même si l'on admet que 10% d'entre eux ne sont pas recommandables (chiffre sans doute énorme), il en resterait tout de même 194 108 312 tout à fait fréquentables et à ce titre, postulants à la liste blanche des sus-cités « hot spots ». La ou les personnes qui a ou ont eu cette merveilleuse idée de liste blanche a ou ont-elles la moindre idée de la faisabilité technique d'un proxy filtrant nécessaire à l'entreprise ? Je les invite à lire mon chapitre « Squid et SquidGuard » et à construire une maquette. Clairement, une telle liste blanche aboutirait à une formidable censure complètement subjective ou pire encore, influencée par toutes sortes de « lobbyings »(Minitel, voir plus loin). Ont-ils pensé un instant à la tenue à jour de ces listes ? Les sites naissent et disparaissent sur la toile avec une rapidité déconcertante. Comment gérer cette mouvance ? Mais peut-être avons-nous mal compris le principe même. Peut-être que cette liste blanche ne recensera finalement qu'une poignée de sites institutionnels, reconnus universellement comme d'utilité publique (Minitel, voir plus loin) ?

Notez que ce n'est pas si grave que ça n'est-ce pas. Après tout, un « hot-spot » n'est qu'une commodité. Ceux qui voudront accéder à autre chose que le contenu de la liste blanche pourront toujours le faire depuis leur connexion privée. Simplement, si Mme Michu souhaite mettre à jour son blog depuis un hot-spot, parce que, par exemple, depuis la terrasse du café où elle se trouve, le paysage lui inspire un billet bien poétique, elle devra se contenter de faire son billet sur du papier, en attendant d'être rentrée chez elle.

La solution dans la répression

Madame Michu, elle sait que grâce à la messagerie instantanée, elle peut papoter avec des copines à moindre frais, qu'elle peut trouver grâce à Google tout un tas d'informations qui lui étaient jusqu'alors inaccessibles, mais elle ne sait absolument pas comment ça fonctionne, elle utilise, c'est tout.

Son fils, télécharge à tour de bras des œuvres dont la propriété intellectuelle lui échappe (De mon temps, on écoutait la radio, avec un magnétophone branché sur le poste, prêt à enregistrer tout ce qui passait sur les ondes). C'est mal, ça prive les artistes (et aussi les maisons d'édition) d'une partie de leurs revenus. C'est tellement mal que ça risque même de tuer la création artistique.

Soit. Donc, une milice privée va repérer le fils de madame Michu et va lui appliquer la règle de « la riposte graduée ». Au final (parce que le fils de Mme Michu est un vilain garçon, qui persiste dans la mauvaise voie (sans doute est-il né avec des gènes du mal)), Mme Michu va voir sa connexion coupée. Elle ne pourra plus papoter, elle ne pourra plus trouver ses recettes de cuisine, qui lui permettaient pourtant de faire accepter plus facilement les cinq « fruizélégumes » tant nécessaires au bon développement de son insupportable gamin. Le pire, c'est qu'elle était bien incapable de mettre fin aux activités subversives de sa progéniture, n'y comprenant rien aux subtilités des protocoles P2P.

Notez toutefois que ce n'est pas si grave que ça. Mme Michu aura toujours l'opportunité d'aller chez sa voisine qui par chance, est toujours connectée. L'aimable lubin allait bien chez la voisine de Pierrot pour allumer sa chandelle en se faisant battre le briquet par la belle brune…

Comment venir en aide à Mme Michu pour que cette fâcheuse situation ne se reproduise plus ? Simple ! Son fournisseur d'accès qui, lui, sait comment marche l'internet, va lui mettre un bon petit filtre dans sa « box » et Mme Michu pourra désormais dormir tranquille (encore du filtrage).

Notez que si l'on ne parle jamais de M. Michu, ce n'est pas à cause de considérations sexistes, c'est tout simplement que pour lui, c'est encore pire, il ne sait même pas que l'internet existe.

La solution dans la centralisation

A une époque, notre beau pays a connu un système d'information formidable : le Minitel. Tellement formidable d'ailleurs, que nous avons été les seuls au monde à utiliser ce petit bijou. Ici, c'est simple de vérifier qu'aucun contenu illicite ne circule, puisque le contenu est complètement centralisé dans les mains d'un tout petit nombre, qu'il est facile de surveiller étroitement (ou de laisser faire avec bienveillance, suivant le cas).

Ici, il n'y a même pas besoin de pouvoir politique, le pouvoir économique peut suffire.

Google, avec son moteur de recherche, centralise la quasi totalité des requêtes des internautes (Minitel), propose une messagerie bien sympathique, fort utilisée par les internautes (Minitel), propose un espace de stockage « personnel » à qui veut s'en servir (mieux (pire ?) que Minitel).

Microsoft avec par exemple MSN, centralise l'écrasante majorité de la messagerie instantanée (Minitel).

Vous en voulez d'autres ? Facebook, YouTube, centralisent les profils des internautes, leurs vidéos… (Minitel).

Perspectives

Le pire de tout ceci, c'est que l'internaute non averti risque de trouver ça bien, ne serait-ce que parce que ça lui simplifie la vie et sa liste de « bookmarks », le rassure (c'est rassurant d'avoir un grand frère qui veille sur soi). Avec un peu de persuasion, peut-être même admettra-t-il qu'il est normal de payer un morceau de musique téléchargé au format mp3 (mauvaise qualité par rapport à un flac ou même un wav) au même prix que s'il l'avait acheté sur un CD et ce malgré les couts de distribution sans proportions (pas de fabrication d'un objet polluant, stockage infiniment moins couteux, transport quasi gratuit…).

Non, décidément, je n'aime pas la façon dont notre bel internet évolue.

Webographie

(Pendant qu'elle est encore accessible)